THEY ARE GUTTING A BODY OF WATER, quand le Shoegaze ne regarde plus ses chaussures, il les balance dans la gueule de notre époque.
- Jojo Lafouine
- 1 nov.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 nov.

Cela commence par le son éloigné des cloches d' une église qu' on aurait localisé de manière coutumière dans la campagne pluvieuse britannique. On est pourtant de l' autre côté de l' Atlantique, dans le marasme toxico qui a noyé Philadelphie. Alors que l'on s' attend à une intro planante précédant une montée toute progressive c' est un riff agressif et répétitif qui s' élance sur l' auditeur.
Et en lieu et place du traditionnel chant éthéré c' est un spoken word urgeant venu d' un centre ville crado et bruyant. Pas très shoegaze tout ça me direz-vous? Oh que si. Suffit de jeter à la poubelle les reflexes nostalgico-gaga.
Ça fait une paye que l' on entend parler des Shoegazers de They Are Gutting A Body Of Water et de leur leader Douglas Dulgarian. Une paye également que l'on soupçonnait qu' il se passait quelque chose de revigorant du côté de Philadelphie. Leur carrière se résume à une pelleté d' albums plus ou moins officiels et difficilement trouvables depuis une dizaine d' années. Beaucoup d' espoirs souvent contrariés par des disques jugés trop vite ,ou assez justement, comme bâclés. Ceux que l'on va vite se contenter de nommer TAGABOW ont attiré l' attention des aventuriers osant rêver d' un Shoegaze délaissant le passé pour se reconjuguer au présent et si possible, chose devenue irréelle à force de revival incessant, au futur.
Mais chez Douglas Dulgarian et sa clique rien n' est jamais simple. Mué par une réel volonté de réinscrire le Shoegaze dans leur présent et laisser la nostalgie de côté ces ricains ont opté pour la surprenante bonne vieille tactique (mais risquée) de repartir des fondements du genre. D' oublier tout ce qui a suivi et de disséquer l' acte originel pour mieux le corrompre. Ainsi découvrir leur "Lucky Styles" en 2022 s' apparentaitun peu à tomber début 1991 sur d' énigmatiques extraits inédits du laborieux travail en cours de "Loveless". Sur ce disque le groupe n' hésitait donc pas à évoquer et assumer totalement le Saint Graal Shoegaze de My Bloody Valentine quitte parfois à trop y ressembler quand à d' autres instants il explorait des pistes passées inaperçues par MBV. Et ce, comme rarement par le passé chez les prédécesseurs revivalistes un brin pleutres car bien trop respectueux des monuments.
On va l' écrire tout de suite, le tout récent "LOTTO" est bien plus abouti jusqu' à devenir instantanément en cette rentrée 2025 une des plus belles réussites Shoegaze de l' année en cours. Une année marqué par un certain renouvellement. Si il a gardé l' aspect inachevé de son prédécesseur, cet apparence apparait finalement comme un des éléments permettant la réapparition d'une aura mystérieuse autour du Shoegaze. Une aura depuis longtemps disparue à cause des incessantes redite depuis trente ans.
L' une des clés de cette réussite est peut être le fait que Dulgarian a perdu temporairement l'usage de son bras gauche en raison de sa toxicomanie et du se résoudre un temps de laisser de côté ses guitares et pédales d' effets pour passer aux synthés et aux samplers. Trop souvent nous avons vu les apprentis Shoegazers de toute époque se contenter de recopier la caricature. C' est à dire des types torturant uniquement en direct leur guitare les yeux braqués sur leur pédales d' effets . Pourtant il fallait se rappeler que Saint Kevin Shields nous avait aussi parlé de manipulation de bande et de son intérêt pour le sampler et les boites à rythme.
TAGABOW remet au goût du jour la saturation de la réverbération inversée que le sampler permet. N' hésitant pas à puiser dans les autres courants des sonorités inconnus par ici.
Et chose assez surprenante, "LOTTO" en évoquant "Loveless", démontre que l'une des caractéristiques principale de My Bloody Valentine, ses riffs hyper condensés, avait tout simplement disparu des redites plus portée sur la DreamPop que sur les origines Noise du courant. J' ai beau tenter de me souvenir il n'y a que A PLace To Bury Stranger qui me vient à l' esprit et ils sont apparus il y a presque déjà 20 ans.
Il fallait aussi se rappeler que d' autres à la suite de Shields n' attendirent pas pour faire évoluer le Shoegaze et le confronter à d' autres courants. A percer le traditionnel mur de son guitaristique par des attaques de Breakbeat, de synthés impétueux et de rythme Dancefloor. Après la première vague (Ride, Slowdive, Lush, The Boo Radleys), des formations courageuses n' hésitèrent pas à arracher le Shoegaze de ses territoires d' origines et le confronter à d' autres sonorités tel l' Ambient et l' IDM (SEEFEEL) ou le Trip Hop (Bowery Electric). Même M83 avant de devenir totalement niais osa à grand coup de synthés.
"LOTTO" perpétue cette tradition en convoquant les textures lourde du Doom et du métal, en jouant de la boite à rythme jusqu' à convoquer des tropes Jungles et dancefloor. Sur le titre "American Food" on ressent l' influence de l' Hyperpop par l' une de ses caractéristique, l' utilisation d' une voix asexuée et hyper aigue.
En lieu et place des exercices de redite nostalgico-gaga gentillet juste rêveurs ou limite mièvres observables chez les autres le groupe délivre un Shoegaze comme jamais bouleversant et poignant. L' auditeur ressort de l' écoute de ce disque imprégné d' effroi, de crainte, de colère et de révolte.
Le thème de l' addiction est évoqué sans retenue et si Dulgarian aborde l' introspection coutumière du genre avec une sincérité désarmante il n' hésite pas non plus à opérer la dissociation en décrivant un monde où tous nous sommes plus ou moins en manque de dopamine tellement le harcèlement numérique nous a rendu dépendant. Si souvent le Shoegaze était la musique de personnes repliées sur elle-même il décrit parfaitement les interactions brutales ou perverses entre notre personnalité et le monde extérieur. Ainsi cela lui permet de délivrer une très vivace critique du capitalisme ricain et numérique et de son poids dans nos quotidiens.
Le Shoegaze musique contestataire, parfois entre les lignes et les explosions sonores, mais jamais à ce point.
Après Just Mustard et Dummy en version plus délicate les TAGABOW cassent définitivement les idées reçues sur le Shoegaze en l' extirpant de ses territoire mille fois visité pour le confronter à notre triste époque. Comment sans taire sa nostalgie continuer de combattre.













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