Cela fait trois ans que Space Afrika (voir ici)tapait discrètement mais de plus en plus fortement l' incruste dans ce blog. "Honest Labour" leur troisième vient de sortir et voit ce duo tutoyer les sommets en matière d' Ambient. Une Ambient bien différente de la caricature que s' en font les neuneus qui n' y voit qu' un simple truc relaxant un brin prise de tête boosté par le confinement et son repli sur soi.
Entre le moment de leur découverte par ce blog et "Honest Labour" les deux Joshua, Tarelle et Inyang, ont effectué de sacrés virages stylistiques jusqu' à cet automne pour nous offrir leur meilleur disque à ce jour. En 2018 DWTN avait déjà craqué pour leur deuxième album "Somewhere Decent To Live". Une merveille d' Ambient Dub disant adieu aux dancefloors mais qui tel un Lee Gamble récupérait ses tropes (Jungle, Grime, Techno, Garage, Deep House) en les transformant radicalement. Plus tôt ce duo de Dj avait débuté par un premier album plus Techno qu' Ambient. Tel des chroniqueurs plus Populo que mondains ils sortaient dorénavant du club pour découvrir ce qui se passait la nuit dans leur ville. Et pas n'importe quelle ville, Manchester. Ils nous la recrachaient à la gueule cette foutue ville qui s' incruste en permanence dans la vie de certains fans de musique depuis des décennies quite à devenir une seconde patrie pour nombre d' entre nous. La sortie du Dancefloor s' accéléra l' an dernier avec la mixtape "Hybtwibt". Votre serviteur ne s' est toujours pas remis de certains de ses moments déchirants tel la bombe d' émotion "Oh Baby". Les Space Afrika incorporait à leur musique le contexte politico-social de l' époque, soit le mouvement Black Live Matter faisant suite au meurtre de Richard Lloyd. Tel des documentalistes ils partaient de nouveau dans les rues mancuniennes et nous offraient d' une manière surréaliste leurs observations.
"Hybtwibt", classé ici dans le top album 2020 tout comme son prédécesseur de 2018, les voyait également abandonner certaines de leurs habitudes et opter pour une plus grande utilisation d' enregistrements de terrains déformés par leur savoir en matière de production et dijing. Au vue du sujet abordé il était fort logique de trouver à leur mutante Ambient des senteurs Soul. Les tropes dancefloors se transformaient en son identifiables de la ville. Des crépitements vinyles par ci, des sons étouffés par là, Burial et l' Hypnagogic Pop n' étaient pas loin. Ici on pensa également à Klein.
La trajectoire nouvelle prise par Space Afrika se confirma et se renforça en Juin 2021 avec la Bande Originale "Untitled (To describe You)" composée pour un cours métrage. Plus tôt dans l' année c' est un mix incorporant bon nombre de têtes connues par ici de charmer en confirmant qu' eux et DWTN partageait bien de passions communes. Teresa Winter, Burial, Perila, Klein et le lointain Dijit !!! Une mixtape qui préfigure à posteriori les tendances nouvelles et fortes d' "Honest Labour". "Honest Labour" est un pas encore plus grand et fait passer la mixtape et le Ep précédant pour de somptueux croquis d' une grande oeuvre. On retrouve l' art du collage sonore mais avec ce coup-ci avec la présence de collaborateurs vocaux tel des rappeurs et des chanteuses. Les voix provenant d' enregistrements continuent également d' être à l' honneur. Minimaliste à la première approche ce disque dévoilent des instrumentations et des sample bien plus profonds et riches qu 'il n' y parait. Leur diversité surprend aussi tel la présence de cordes provenant du classique, d' éléments et technique foncièrement Musique Concrète et enfin cerise sur le gâteau nordiste anglais des guitares typiquement Post Punk évoquant 4AD. Un autre courant se voit conforté dans les choix du duo c' est le Trip Hop. Pas la première fois ces derniers mois après l' égyptien Dijit et la collaboration The Bug/Dis Fig. "Honest Labour" est la version mancunienne des bouffées de fumée Bristolienne que l' on avait aspiré aux grandes heures de Massive Attack, Portichead et Tricky. Ce disque nous en rappelle donc bien d' autres par ici. Il nous parle du "North" et surtout de la ville des deux Space Afrika. Manchester sans faux semblant dans sa réalité la plus dure. Il pleut beaucoup à Manchester et ça s' entend . Manchester, la ville qui a pris pour emblème l' abeille ouvrière. "Honest Labour" est bien sûr un digne héritier du passé ouvrier de la ville mais s' inscrit dans un présent réel plutot que d' aller piocher dans la bibliothèque musicale du lieu. On est loin de tout le folklore des autoroutes mémoriels pour touristes musicaux nostalgiques de Joy Division et Factory Records.
Manchester 2021, celui des noirs de la classe ouvrière. Prouvant que notre monde doit être avant tout appréhendé selon la séparation entre classes sociales plutot qu' uniquement ethniques comme aimeraient faire croire certains rois de la division dans leurs propres intérêts (Néo Libraux ou fascistes bien sûr). Que vous soyez blancs ou noir certaines choses ne diffèrent pas selon votre classe et d' ailleurs n 'ont guère changé depuis longtemps. Entre le quotidien des jeunes New Order et Happy Mondays dans les rues de Salford et celui des Space Afrika dans les blocs d' immeubles de nos jours les mêmes maux.
Stylistiquement Space Afrika est bien plus proche de gens comme les Demdike Stare ou Andy Stott alors si ce n' est une certaine mélancolie doublée d'une colère ouvrière et le poids du ciel gris mancunien ils partagent plus grand chose avec Joy Division ou les Happy Mondays susceptible de charmer les Rétrogagas. Et pourtant ils parlent de la même chose que les idoles du passés mais le fond chez les rétrogagas a toujours moins compté que le déguisement culturel. Déchirante oeuvre engagée franchement cinématographique "Honest Labour" voit les Space Afrika franchir un palier gigantesque et inscrire dès à présent dans l'illustre histoire musicale d' une ville essentielle et sans qui probablement ce blog ne serait pas ce qu' il est.
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