Le royaume musical imaginaire de Dancing With The Noise possède l' étrange particularité de contenir trois reines. Une islandaise, une bristolienne et une éternelle jeune fille du Dorset. Devant l' état de forme de ces trois reines toujours passionnantes et pas encore grabataires J' avais presque oublié de vous rappeler qu'il existait aussi une reine mère. Une reine mère encore plus cool, courageuse et percutante que ses trois filles. Symbole absolu d' indépendance, de féminisme et de liberté artistique totale.
Vendredi dernier, journée mondiale des droits des femmes (pas un hasard), Kim Gordon, 70 ans, sortait son deuxième album solo. Probablement l' un des disques parmi les plus bluffants et judicieux en ce timide début d' année.
Le premier sorti en 2019, "No Home Record" m'avait sidéré au point de le classer dans mon top 20 annuel (ici). Comment, après 30 ans de carrière au sein de Sonic Youth avec la réussite que l'on sait, pouvait-elle encore nous surprendre et nous secouer? Nous épater de nouveau par son intégrité, sa passion pour l'expérimentation, sa curiosité à tout épreuve pour les nouvelles musique de "djeuns" tel le Footwork ou la Deconstructed Club. Sur une musique innovante sans compromis , elle dépeignait d'un œil acerbe et lucide notre époque. Souvent les membres de groupes essentiels peinent à atteindre en solo les cimes tutoyés collectivement. Bien sûr il y a des exceptions (Van Morrison, Peter Gabriel et Morrissey si on ne veut pas être trop regardant).
Depuis la séparation je ne veux pas être médisant mais que ce soit pour Thurston Moore ou Lee Ranaldo il m' en a fallu du courage pour suivre la suite de leurs carrières discographiques. Plonger dans l' après Sonic Youth revenait parfois à rendre visite le dimanche à ce vieux tonton qui a loupé le virage numérique et qui s' obstine sur ses vieille lubies (le rock classique pour Lee et encore les cordes en tout genre pour Thurston). Et parfois les vieux tontons boomers ça dit des conneries ou des banalités vide de sens en fin de repas. Tonton Moore quant à lui nous a fait la totale, crise de la cinquantaine en larguant la Kim pour une bien plus jeune. Quel con.
On ne largue pas Kim Gordon.
Alors comment expliquer la réussite du récent "The Collective" après l' époustouflant "No Home Records" de 2019 ?
Pourquoi est-elle toujours pertinente quand les deux autres délivrent des œuvres certes réussies mais franchement pas rafraîchissantes ni réellement nécessaires. Comment cette femme âgée de 70 ans peut en 2024 devenir une référence des "Djeuns" sur Tik Tok.
Des quatre Sonic Youth Gordon a toujours fait figure de la moderniste curieuse de ce qui se faisait en dehors du milieu Rock et Punk. Une vraie Mods déguisée en Punk Arty. Rappelez-vous sa place plus importante dans le processus de création du "The Whitey Album" sous le nom de Ciccone Youth. Projet parallèle de la bande des quatre dans lequel l' instrumentation classique Punk subissait l' ajout de technique Hip Hop. Plus tard elle fera des pieds et des mains pour chanter en duo avec Chuck D de Public Enemy sur "Kool Thing". Quand les deux gars se préoccupaient des accordages et des structures elle privilégiait le travail sur les textures et avait une approche bien plus corporelle de la musique.
Autre particularité expliquant qu' elle s' échappe du carcan Rock/Punk assez facilement afin de se renouveler et tenter d' autres aventures c' est qu' elle était l' exemple typique de la musicienne assise le cul entre deux chaises. Trop arty et ésotérique pour les rockeurs et trop punk et tapageuse pour le milieu des salles d' expos. On rajoutera qu'en plus de fréquenter le gratin Indie qu' elle aimait traîner aux défilés de la mode mais avouons immédiatement que c' est un truc pas tout à fait louable et surtout d' un intérêt assez quelconque en définitive. Limite agaçant. On préférera surtout rappeler son flaire imparable cinéphile pour repérer les futurs grands réalisateurs pour les clip de Sonic Youth.
En 2024 Kim Gordon fait dans le Trap, dérivé sudiste du Hip Hop apparu dans les 00's et toujours d' actualité au point qu'on le croise souvent dans ce blog.
Et voila cette bassiste qui s' amuse à en faire voir de toutes les couleurs aux rythmes arrachés d' une bonne vieille TR 808. Les synthés ont le pouvoir mais eux aussi subissent une véritable torture jusqu' à en devenir abrasifs et suppliants. Le climat et les sonorités sont évidemment Post Industriel et accompagnent sa poésie avant gardiste qu' elle entonne parfois en rapant sur son éternel ton apathique . Parfois une guitare s' en mêle ("Psychedelic Orgasm") mais que les fans de Sonic Youth ne se trompent pas. Kim a bel et bien tourné la page. Avec le soutien de Justin Raisen qu' ici on connait pour son excellent travail avec le Roi Yves Tumor, Gordon hybride à tour de bras tout ce lui passe dans sa tête. Numérique, synthétique et organique. Gordon n' a jamais été du genre à se pincer le nez et faire sa puriste intégriste. La forme moderne rejoint le fond contemporain et les objectifs sont atteins. La musique de Gordon ne fait pas son âge. Maintes fois ici j' ai relevé à quel point l' utilisation d' une vieille musique rendait le discourt anecdotique qu' il soit juste ou pas. En France on a ces derniers temps la gentille hype Gwendoline (ici) qui par ses textes possède un certain fond critique et lucide mais perd de sa force à cause d'une musique profondément rétro (New Wave) jusqu' à en devenir caricaturale. DWTN préférera toujours vous proposer Oï The Ox, Pö ou Mandy, Indiana qui pour le coup se présente comme les dignes petits enfants de Kim Gordon.
Des quatre Sonic Youth il fallait bien avouer qu'une fois passer les attitudes grandes gueules de Moore c' était bel et bien Gordon qui tenait le rôle principal de chroniqueuse acerbe de la vie américaine. La plus engagée. Déjà à l' époque dans ses paroles Gordon démontrait un talent certain pour s' emparer de sujets maintes fois rabattus jusqu' à la caricature pour les rendre à nouveau intéressant et frais. En 2024 elle n' a rien perdu de son art de déconstruire le quotidien pour nous le balancer dans la tronche. Et le constat est encore plus terrible qu'il y a 30 ans. Encore en 2024 elle a ce petit truc en plus qui fait d' elle une fille super cool mais aussi distante qui en un instant va vous toucher au plus profond de vous et vous amener à une réelle remise en question. J' en connais beaucoup d' homme de mon âge pour qui le travail de déconstruction du patriarcat a commencé ou au moins été accéléré avec l' écoute de cette grande féministe.
Elle lâche pas le combat la Kim quand le temps d' un "I m a Man" elle s' attaque à la masculinité toxique. Ailleurs elle n' en finit pas de remettre en question les normes sociétales, de sexe, de genre, de l' âge et bien sûr musicales. Son pays en prend bien sûr pour son grade comme toujours quand elle s' attaque à la passion américaine pour les armes à feu au nom d' une liberté qui a bon dos.
Si il est avéré que notre septuagénaire surfe sur les réseaux sociaux il est aussi certain qu' elle en dresse un constat absolument imparable pour la raison même qu'elle y a été. Non pas comme nombres de ses amis boomers qui n' en finissent pas de répéter finalement ce que la télé, concurrente du net, leur remplie le cerveau comme jugements trop caricaturaux et réducteurs jusqu' à en devenir totalement inefficaces face aux maux numériques réellement malsains.
Kim Gordon est donc par son âge une boomeuse comme tant d' autres. Malheureusement ce terme désignant une classe d' âge précise est devenu une insulte. Bien évidemment DWTN va ne pas vous faire l' injure d' essentialiser une classe d' âge et rentrer dans une guerre des générations. D' autant plus que si certains sont tentés de prendre partie chez les plus jeunes et certains vieux dont moi même. C' est surtout pour rappeler le fait que nos médias et pouvoirs sont monopolisés par les mauvais boomers. On ne voit qu' eux et leur déni sur leurs responsabilités quant à l' état du monde qu'ils laisseront. Leurs ignorances crasses parfois bien désirées et cultivées. Eux et beaucoup trop de leurs enfants conformistes et réacs avant même de devenir adulte. Cette culpabilité devenue déni puis mépris et enfin geste suicidaire. Ils aimeraient bien que surtout on n' aille pas cracher sur leur tombe en mettant à mal leur héritage putride et réac.
Kim Gordon était déjà en avance il y a trente ans et continue de voir plus loin. Quand elle s' attarde sur les objets de la vie tel les cadeaux ringards que sa générations adorait s ' offrir on y constate qu' un jugement acerbe sûr vis à vis de sa génération et un simple conseil faite aux plus jeune. Elle fustige toutes ces années de quête d'acceptation, de réussite et d'affirmation boomeuse au détriment de tout le reste et au final d' une assez grande futilité devant le triste résultat.
Elle est la preuve vivante que mal vieillir s' évite parfois dès le plus jeune âge. Fille de l'underground des 60's et des 70's, reine de celui des 80's et 90's, elle traverse le temps sans rien changer de ses valeurs tout en continuant la critique. L' engouement récent la concernant chez les jeunes générations via Tik Tok n' est absolument pas une surprise. Un juste salaire du travail de sape entrepris il y a si longtemps.
"The Collective" s' empare de vous, vous perturbe, vous trouble, vous agresse mais aussi vous grandit et vous amène à aller voir plus loin. Comme les monuments discographiques de Sonic Youth autrefois Kim Gordon réussit le même exploit en solo. Avec la même fraîcheur, âpreté et l' intransigeance de ceux qui ne vous prennent pas pour des crétins quand les autres ne désirent que vous endormir.
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