Just Mutard fut d'abord un groupe étiqueté Shoegaze comme tant d'autres. Peut être un poil plus attendrissant et intriguant par certains aspects. Mais après des années de Revival un énième groupe parmi tant d' autres. Noyée dans la masse cette formation irlandaise (et oui, encore! ) n' a probablement pas obtenue l' attention qu' elle aurait du mériter.
Après 4 longues années d' attente arrive le difficile exercice du deuxième album. Le test ultime permettant de ceindre en deux le troupeau des revivalistes. D' un côté les habiles copieurs sans réelles personnalités, dénués d' une once d' imagination et de courage. De l' autre ceux appelés à devenir des passions sans bornes par refus du conformisme et du statu-co. Des artistes capables d'une vraie créativité par goût de la recherche et susceptibles de transmettre des émotions non frelatées.
Le quintet Just Mustard appartient à la deuxième , et si rare, catégorie. Leur "Heart Under" les propulse dans une autre sphère que la majorité des apôtres de Saint Kevin Shields (My Bloody Valentine). Pour les derniers amoureux des guitares, race en voix d' extinction faute de profond renouvellement, c' est la révélation de l' année. Pour les autres, plus portés sur l' électronique ou l' Ambient une occasion de s'étonner que les guitares aient encore quelques choses d'inédit à dire afin d' échapper à une muséification inévitable.
Un premier album plus complexe qu' il n' y paraissait.
Leur premier album "Wednesday" de 2018 suscitait déjà chez votre serviteur un petit intérêt. L'exercice Shoegaze revivaliste apparaissait pas réellement révolutionnaire mais suffisamment intriguant pour s' y attarder. Un brin foutraque. Ce groupe se cherchait-il encore ou cherchait-il quelque chose. Notez bien la différence entre les deux types de recherches. C'est peut être bien ça qui sépare le grain de l ivraie.
Just Mustard délivrait un Shoegaze bien plus complexe que ce qui nous avait été donné d' entendre depuis des années. La gentillesse si ce n'est une certaine naïveté Dreams Pop des revivalistes, la norme au cours des 00's et 10's laissait place à un sens inné et parfois oublié de l' agressivité et de l'étrangeté sonore. "Wednesday" opérait un retour aux origines du genre. Plus Noise, plus industriel sans pour autant tomber dans les travers parfois caricaturaux de A Place To Burry Strangers.
Plus proche de la Noise Pop de Jesus & Mary Chain que de Slowdive en omettant pas la filiation entre les Écossais et le courant Post Punk qui les avait vu naître au début des 80's. D' autres perçurent dans la production et certaines manières le proto-shoegaze des A.R. Kane (Voir ici).
Vous trouverez également à leur sujet des allusions aux anglais Cranes. Groupe de la fin 80's début 90's sous forte influences Cocteau Twins et gothique mais pas à proprement parlé adeptes, ou par inadvertance, du chaos sonore des My Bloody Valentine et du Noise. Il est vrai que la magnifique voix éthérée aiguë de Katie Ball évoque considérablement celle de la chanteuse des Cranes et bien sûr la mère de toutes, Liz Frazer des Cocteau Twins. A ces deux voix du passé je rajouterai celle de Harriet Weelher des trop oubliés de nos jours The Sundays. Just Mustard se démarquait ainsi en introduisant dans le peloton revivaliste une tache sombre et glaciale typiquement gothique. Mais cela allait bien plus loin et s'arrêter qu'à cette comparaison relevait d'un manque certains de discernement et de culture. Une erreur d' appréciation que le tout frais "Heat Under" va finir de battre en brèche.
Comme nombre de leurs compatriotes irlandais Just Mustard faisaient à leur tour partie du Revival Post Punk mais un revival qui avait aussi ingurgité bien d autres choses que l'original. Inévitablement ils furent invités à partager l'affiche avec les champions de cette vague irlandaise, les Fontaines D.C (ici). Eux aussi adeptes d'un Post Punk plus complexe susceptible de piocher ailleurs et ne se limitant pas à un chronologie restrictive en terme d' époque de référence.
Ce qui séparait ces originaires de Dundalk des dublinois c'est un goût prononcé pour des territoires éloignés du tout -guitare Indie. Pas de Britpop ou de Math rock ou encore Post Rock mais des senteurs Trip Hop évoquant forcément les premiers auteurs du rapprochement Shoegaze -Trip Hop. Les légendaires et essentiels Bowery Electric.
L' électronique entrait dans leur ADN et cela rendait ce premier album bien plus spécifique et à part. Un autre fait important est qu' il s' agissait d'un disque autoproduit par leur guitariste Dave Noonan. D' où une originalité certaine.
Mélange des genres.
Par la suite les interviews du groupe et notamment la connaissance de leurs passions musicales expliquèrent bien des choses sur leurs spécificités et qu'un type comme moi leur trouve un charme salvateur face à au troupeau revivaliste bas du front aux influences ne dépassant pas les petits mondes shoegaze ou Post Punk. Et vous allez vite comprendre pourquoi ce blog va défendre corps et âme ce groupe. Les points communs sont bluffant.
D' abord la filiation entre le chaudron Noise -Indus-post-punk et le vénéré Trip-hop (ici). Elle ne pouvait passer que par l'immense "Mezzanine" de Massive Attack (là). Plus tard une autre évidence de cette filiation sera cité par un des leurs, leur album préféré de Portishead ne pouvait être que le plus Rock expérimentale et Post- Industriel "Third". Mieux. Outre un moins commun mais prévisible dorénavant amour d' Aphex Twins, le temps faisant son oeuvre d' émiettement des cloisons stylistiques, la présence de J Dilla et son art de la production dans leurs playlist assurait que nous avions à faire à de vrais curieux.
Mais ce n' était qu'un début. Dans ces même playlists la présence de Squarepusher confirmait leurs appétences IDM Drill et breakbeat quand Boards Of Canada contrecarrait l' hégémonie Dream Pop par les tendances Ambient moins faciles. Et puis apparurent au grès des listes qu' ils publiaient Balam Acab et sa Witch House dans un premier temps pour encore plus lorgner sur l' électro et les dancefloors. Ce qui fut définitivement confirmé par l' un des Saints de ce blog, Andy Stott (ici) ! De là à les surprendre écoutant Demdike Stare il n' y avait qu' un pas. Encore un nom mille fois présent dans ce blog. La coupe est pleine ? Non. Mica Lévi semble également les avoir bluffer et ils allèrent jusqu'à taper dans la musique concrète avec Luc Ferrari. La concurrence Post Punk fait pâle figure dans le domaine de la culture et de l'ouverture d' esprit.
Si j'ai pris la peine d' énumérer longuement leurs influences c est surtout parce qu'il s'agit de l'une des raisons principales que leur deuxième album est un chef-d'œuvre susceptible de revigorer les guitares. Ce brassage d' influences multiples et diversifiées est la clé. Cependant Il y en a une que j'ai volontairement laissé de côté pour mieux y revenir et prouver une fois pour toute de l'importance de cette dernière formation.
Une autre voie
"Heart Under"nous offrent des chansons avec des structures qui ne correspondent pas au classicisme rock et Shoegaze. Pas de refrain -couplet prévisible. C'est bien plus des façons de faire électro dancefloor auxquelles l'auditeur sera confronté. Répétitions, boucles et utilisation de drone.
Ce que confirme
le guitariste et producteur David Noonan en déclarant vouloir : "trouver des moyens d'arranger des chansons avec l'instrumentation traditionnelle d'un groupe de rock, mais essayait de trouver des moyens de le faire qui reflètent les types de musique qui les intéressent". La dernière fois qu'un groupe expliquait agir de la sorte c' était leurs autres compatriotes irlandais, Girl Band (ici). La voici l influence qui a décoincé Just Mustard et une grande partie de cette scène irlandaise qui écrase dorénavant le "Post post Punk" anglais.
Mais peut être bien que les Just Mustard sont allés plus loin que les Girl Band dans un domaine bien précis jusqu'à rejoindre, voir dépasser également une formation qui a fait le chemin inverse. Du dancefloor et l' Ambient version Dark aux guitares Noise et Math Rock, soit les géniaux Moin (ici). Ce trio formé par les Raime avec Valentina Magaleti qui nous avait conquis l'an dernier par sa simplicité Post Hardcore.
Les rythmiques elles aussi sont un marqueur de ce qui différencie Just Mustard. Si on peut parfois penser à la précision métronomique et martiale de Joy Division une oreille plus attentive dévoile des tentatives Drum & Basse Trap ou encore Jungle dans la relation Batterie -Basse. La démarche est évidente, faire de la musique électronique mais avec l'instrumentation rock afin de renouveler ce dernier.
Ce deuxième album dépasse largement le premier effort sur long format. Autoproduit comme "Wednesday", ce qui prouve que ces irlandais savent depuis les premiers moments où ils veulent aller et savent acquérir les moyens et connaissances techniques pour atteindre leurs objectifs sans se reposer naïvement sur le premier producteur venu. Kevin Shields, essoreur de producteur par excellence, serait fier. Moins fouillis parce que plus simple dans sa forme, le fond s'est épaissi à force d'expérimentation. Katie Ball quant à elle n'a plus rien à envier à ses illustres aînées et la mise en avant de sa voix par rapport à "Wednesday" lui rend justive tout en évitant les clichés du shoegaze. Une voix qui emporte tout et rajoute en émotion à une musique pas évidente dans ce domaine parce que plus agressive. La musique devient encore plus pesante et l' ambiance s' obscurcit. L' heure n'est pas à légèreté Dream Pop comme chez d' autres. Just Mustard évite ainsi l' un des travers des revivalistes bas du front, l' anachronisme, en conjuguant leurs influences au présent jusqu' à les dépasser. Il devient difficile d' étiqueter l' ensemble Shoegaze ou alors doit-on oser le terme Post Shoegaze tant Just Mustard a trouvé ce que tant d' autres n' ont pu ou voulu trouver. Une nouvelle voie pour un courant en phase terminal. Des variations de ce courants on en a entendu ces dernières années mais elles provenaient de l' électronica ou l' Ambient. Que cela arrive d' une formation basée sur les guitares relève dorénavant du miracle. Et ce miracle, Just Mustard, ça ne se loupe pas.
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