top of page
circuit-des-yeux-profile-1480x832.jpg
Music Blog
& OTHER

DANCING
WITH
THE
NOISE

Haley Fohr aka Circuit Des Yeux

LOS THUTHANAKA, quand le passé vient au secours du futur.

Dernière mise à jour : il y a 5 jours



Depuis plus de dix ans Chuquimamani Condori Crampton est une star de ce blog (ici). L' an dernier son retour avec "Dj E" avait fait grand bien après trois longues et inédites années de silence. La suite était attendue avec impatience même s' il paraissait illusoire de ressentir une nouvelle fois le fantastique choc sonore et culturel subi quand "The Light That You Gave Me to See You" et "American Drift" déboulèrent sur la toile. Malgré toute la passion que l'on peut lui apporter pouvions-nous pressentir ce qu' il allait arriver? A vrai dire non et le saisissement actuel en est encore plus fort. En s' adjoignant les services de son frère Joshua Chiquimia Crampton elle nous offre peut être sa plus grande oeuvre à ce jour et qui plus est assurément, un prétendant solide au titre de meilleur album de l' année 2025. Pour les novices comment définir Elysia Crampton? Toute sa carrière s' apparente en la confrontation entre la tradition avec ce qu' elle peut comporter de sagesse et l' expérimentation la plus libre et folle en utilisant un numérique symbole d' éphémère. Entre la quête d'un passé disparu et une volonté résolument moderniste. Sa musique c' est également l' union magistrale de deux luttes, la défense des communautés Trans LGBT et celle des peuples colonisés. Il y a tout ça chez Crampton et bien plus encore. Crampton est à la fois inclassable, étrange et tellement essentiel. Si on l' associe souvent à la Deconstructed Club c' est pour immédiatement ajouter qu' elle fait figure à mes yeux d' un précurseur qui s' en est éloignée depuis très longtemps. Celui qui plante des graines et passe au champs suivant laissant les autres bénéficier des nouvelles pouces.


Nouveau changement de nom (Los Thuthanaka) et nous nous retrouvons donc pour la première fois face à un vrai duo formé avec son frangin Joshua Chiquimia Crampton. Ce dernier je ne l' avais pas vu venir. Déjà sur "Orcorara 2010" (2020) c' était sa mère Fanny Panquara Chuquimia qui donnait un coup de main aux côtés d' autres invités. Que Crampton collabore n' est pas inédit et on se souvient surtout de "Demon City" (2016) dans lequel apparaissaient la crème de la crème de la Deconstructed Club naissante, Why Be, Rabit, Chino Amobi et Lexxi. Si son frère est longtemps passé sous les radars c' est depuis "Profundo Amor" et principalement "Estrella por Estrella" qu' il se fait à son tour une sacrée réputation dans l' avant garde. Lui aussi mérite le titre d' innovateur fouteur de merde et dans son cas perso c' est dans les doxas concernant la guitare. Preuve s' il en est qu' elles ne sont pas mortes si on ose un petit peu utiliser l' imagination plutot que le copiage. Comme Elysia il tâte de certaines formes psychédéliques et par son utilisation des six cordes il se rapproche bien plus de courants plus "Rock" tel le Post Rock, le Shoegaze, le Post Metal, le Drone ou la Noise tout en y ajoutant à l' instar de sa soeur une aura de sacré en puisant son inspiration dans la tradition Andine.


Ce tout nouvel album au titre éponyme apparait comme la somme complète des très nombreuses expérimentations d' Elysia et de son frère au cours des années. Finalement ces plus de dix années de carrières s' apparentant à une succession d' ascensions vertigineuses en terme de trouvailles n' étaient en fait qu' une préparation avant de s' attaquer au plus haut sommet de la chaîne. Sans s' éparpiller tous les deux s' appuient sur les bases solides acquises durant leurs carrières respectives et offrent un véritable disque révolutionnaire. Les guitares flirtant avec des sonorités Métal ou Noise tournoient et tourbillonnent comme si elles rebondissaient contre le mur du son percussifs d' Elysia. C' est face à une véritable tornade de bruit que l' auditeur va être confronté. Le son parait tellement saturé par instant que vous allez prendre peur pour votre audition ou votre système de diffusion et en même temps. Progressivement. Assurément. Vous allez vous apercevoir que votre esprit s' envole et se mettre à danser en entraînant tout le reste de votre corps. Avec ce groove amplifié la fratrie délivre l' une des meilleurs proposition de Trance de ces quarante dernières années. Une version andine surdopée par la technologie du Gospel des chapelles américaines ou des Gamellan Indonésien. Nous passons d'incantations planantes et assez prévisibles ("folklorique") à d' autres bien plus euphoriques, étranges et perturbantes.


Les deux Crampton avec leurs expériences acquises au cours de cérémonies andines se révèlent être passés maitres dans ce domaine. Cette musique en apparence lourde et agressive par son déluge sonore se transforme en le plus parfait des vaisseaux spatiaux pour décoller vers les cieux. La sensation éprouvée évoquera certainement aux plus anciens celles ressentis à l' apparition du Shoegaze de My Bloody Valentine ou plus tard face à la Noise Psychédélique des grands Yellow Swans.

Mais bien sûr ce qui fait la particularité des deux Crampton c' est leurs influences. Nous voilà confronté à un gigantesque savoir encyclopédique des rythmes d' Amérique du Sud et plus précisément des Andes. Comme à l' accoutumé chez Elysia la musique syncopée Huayno de son peuple d' origine, les Aymaras, domine les débats mais ce sont également d' autres rythmes issus de la région tel la Caporal avec son double Kick qui va vous transporter au cours de titres foudroyants et entrainants.


Le son est la clé de voûte de cette musique. Les deux Crampton en mettant au premier plan les textures à égalité avec les rythmes transmettent un message fort autant politique qu' artistique et confirme la vision revendicatrice de cette enfant d' un peuple colonisé :

Les sons, selon Elysia, sont « plus anciens que nous et plus anciens que la folklorisation de l'État, plus anciens que les histoires d'origine que les puissances occupantes ont créées pour eux ».

Sur son précédent disque sous le pseudo de Chuquimamani-Condori elle avait refusé de pratiquer un réel mastering post production afin disait-elle de "désapprendre les notions de perfections sonores" imposées par le colonisateur et son système capitaliste/consumériste. Il est sûr que ce soit avec celui de "Dj E" et celui du tout dernier certains vont avoir du mal à s' acclimater à l' aspect rêche et agressif du son mais si on se replonge dans certains souvenirs concernant le Rock et ses grands tournants révolutionnaires la découverte de ce disque évoquera des témoignages tel ceux des spectateurs du premier concert historique des Sex Pistols à Manchester (lire ici) quand ils expliquent que le son était "pourri", "brutal", "provocateur" ou encore ceux similaires des heureux qui assistèrent à la prestation matinale de Jimi Hendrix à Woodstock.


Réussite et révolution artistique assurément mais certainement, parce que, œuvre résolument politique. Faire du neuf avec du très anciens et du très contemporain peut paraître contradictoire quand par exemple les rythmes Aymaras deviennent identifiable à nos petites cervelles d' occidentaux et évoquent ainsi la fameuse "folklorisation" décrite plus haut. Mais quand on se penche sur la pensée de Crampton fille de peuple colonisé en quête de justice c' est une imparable logique qui se met en place:

"L' avenir n' est pas devant nous, mais derrière nous (...), avancer c' est aussi revenir". Là où depuis vingt ans les occidentaux à grande rasade de revival bêtas en tout genre s' enferme dans une nostalgie niant et évacuant l' existence d' un avenir possible Crampton, elle aussi en quête d' un passé perdu mais portée par l' espoir, opte pour le modernisme et une profonde remise à jour de ce passé. Sa démarche rappelle celle de l' Hypnagogic Pop et de la Hauntology Music et on regrette qu' un penseur comme Mark Fisher ne puisse se pencher sur ce sujet.


Ne faites jamais écouter Elysia Crampton aux neuneus Anti Woke. Parce que non seulement elle leur remet en pleine tronche le sujet de la colonisation (qu'ils regrettent) et sa saloperie mais en plus elle ose porter l' étendard Queer. Eux qui passent leur vie à regretter un "bon vieux temps" illusoire et mensonger seraient bien avertis de se pencher sur certaines divinités Inca/Aymara comme par exemple Chuqi Chinchay, protectrice des Hermaphrodites, ce qui transposé au 21 ème siècle peut aisément devenir la protectrice des Queer LGBT. Mais je crains qu' ils n' en auront cure puisque pour eux seul la vision Catholique Occidentale Raciste est la seule qu' ils connaissent.


Si ce disque peut à son approche déstabiliser sachez qu 'il ne déstabilisera que certaines mauvaises pensées qui subsistent en vous et cette musique est capable de les évacuer jusqu' à les détruire une bonne fois pour toute. Un chef d' œuvre absolu qui va à l' instar de ses prédécesseurs semer bien d' idées révolutionnaires et créatrices dans de nombreuses tête d' artistes ou non. Et comme disait John Cage :


"Quand un bruit vous ennuie, écoutez-le."






Comments


 RECENT POSTS

bottom of page