J' étais ressorti à la fois enthousiaste et un peu frustré face à la compilation de singles "Product" en 2015 offerte par Sophie. Disque suffisamment génial pour être classé 9ème du top DWTN comme l' avaient été certains de ses singles précédents mais en même temps on savait que Samuel Long (son identité de naissance) pouvait aller encore plus loin. Déjà on percevait derrière l' esthétique K-pop et bubblegum trompe-l' oeil un sérieux bagage musical et une volonté affirmée d' innover pour prendre les chemins de traverses tout en rendant hommage à une certaine pop mainstream. Et puis il y avait un petit détail. De ces petits détails aguicheurs qui peuvent vite devenir sujet de déception par effet boomrang. Sophie dans ses rares interviews avait balancé une de ces références artistiques qu' il est bon de citer quand on se la pète. Un machin à la fois attirant et bien casse-gueule dans la bouche de la dernière hype quand est venu l' heure de passer à l' acte. Elle revendiquait le plus simplement du monde être fan d' Autechre et dans une moindre mesure des riches heures de l' IDM. Les senteurs glitch lié au duo anglais et à la clique Warp des débuts apparaissaient bel et bien à ceux qui passaient outre l' aspect "artificiel" et "Madonnesque" de ses premiers titres. Mais Sophie était-elle capable d' aller encore plus loin dans l' art du mélange des genres afin d' éviter la redite ou l' entourloupe arty tout en égalant ses illustres anciens? "Oil of every pearl's un-insides" se révèle être la réponse la plus cinglante aux pessimistes et autres sourcilleux de 2015. On est très loin d'un exercice devenu conventionnel une fois passé la surprise des premières rencontres originelles. D' abord parce qu' elle accentue le brouillage. Pop commerciale ou électronique d' avant-garde ? La balance atteint l' équilibre le plus parfait entre les deux. Un équilibre si rare ces temps-ci. On pouvait craindre qu'elle finisse par pencher un peu trop du côté mercantile mais à l'image de sa collaboration avec le lèche-botte Diplo sur un titre de la Madonne Sophie a une personnalité et une vision assez fortes pour de pas tomber dans le compromis flasque. Mieux même ! Un autre artiste venu quant à lui de l' underground encore plus pointilleux et moderne qui soit s'y est également risqué récemment. Et c'est pas rien de l' annoncer, mais à tous ceux qui ont été un brin déçu par le virage commercial d' Oneohtrix Point Never, le très bon virage tout de même (on y reviendra), je ne peux que les encourager à vite se ruer sur la dernière oeuvre de Sophie. Ils y trouverons peut être la dose de surprise et de réussite qu'il semble manqué par instant aù Lopatin cuvée 2018. Ce disque, déjà l'une des très grandes réussites offertes par 2018, risque cependant d'en laisser plus d'un sur le carreau. Ici, comme dans tant d' autres oeuvres chroniquées dans ce blog, au diable les conventions étriquées du goût. Le premier titre "It's okay to cry" franchement commercial si pas limite niais va perdre certains poseurs stylistique à l' esprit étriqué. Ce qui suit la chanson la plus faiblarde du disque part dans toutes directions sans que cela nuise à une certaine homogénéité. "Ponyboy" avec sa rythmique martial et ses glitch clinquants remémore à peine "Product" que le sommet "Faceshopping" assommera puis surprendra l' auditeur même le plus aguérri aux productions du pote de Sophie,A.G. Cook et son PC Music . Sophie fait ce qu'elle veut quite à taper dans l' héritage Trance avec la ballade "Is it cold in the water", les sonorités rock-FM chers à Daniel Lopatin ou les drones de l' ambient et de la noise/indus sur "Pretending". On la savait pointilleuse sur les textures on la découvre imaginative et diversifiée en matière de rythmiques pour accompagner son surréalisme clinquant. Tout au long de "Oil of every pearl's un-insides" la productrice née à Glasgow égale ses idoles Autechre dans l' art de la sculpture sonore faite à partir des formes d'ondes en lieu et place du simple échantillonnage. Comme celle de Booth et Brown sa musique marque les esprits par son aspect palpable, passant tour à tour des sensations liquides à solides, du chaud au froid, du caressant au claquant. Chez elle on comprend assez vite que la frontière entre la douleur et le plaisir est infiniment fine jusqu'à ce que ces deux poles d' émotions puissent se confondre. Entre acceptation de soi sur fond de sexe et d' identité, critique et reconnaissance de sa dépendance au consumérisme dominant, ce disque est le digne héritier un brin tapineur des oeuvres Vaporwave de James Ferraro et d' autres. Comme du Arca sous acide ou du Oneohtrix Point Never sous dopamine. Pop et expérimental, commerciale mais aussi "underground", aguicheur et sans compromis, "Oil of every pearl's un-insides" réussit en définitive à s'inscrire dans l' héritage d'un certain mainstream courageux et innovant malgré tout comme les Pet Shop Boys ou Depeche Mode autrefois. Sophie? La "vraie" pop moderne la plus parfaite de notre époque! Rien à voir avec le contenu d' un magasine français pas vraiment magique draguant sans cesse la nostalgie des quadras moutons du macronisme.