Parmi les rares photos d' Arthur Russel celle où on le voit de profil en t-shirt blanc coiffé d'un chapeau devenu mythique apparaît souvent au fil des nombreux articles hommages, des ressorties et des citations teintées d' idolâtrie (nombreuses) concernant l' artiste américain. Compliments et culte provenant souvent d' artistes modernes jugés à juste titre comme avant gardistes et régulièrement appréciés par ici pour leurs aspects novateurs. Par contre il est très rarement fait référence à la pochette dont elle est extraite, celle du premier album de son groupe "indie" à guitares The Necessaries . Et oui, le contre-bassiste fan de disco et à l'imagination débordante pas encore égalée s' est retrouvé un beau jour coincé sur scène et en studio entre un batteur, des guitareux et un bassiste. C' est peu connu, même parmi la myriade de nouveaux fans du bonhomme qui apparaît sans cesse depuis le gros et vital travail de ressorties effectué par ses ayants droits. En même temps comment cette collaboration pouvait faire le poids face à l' oeuvre solo gigantesque ou face à d' autres de ses collaborations. Et puis avouons-le tout de suite, jetez-vous avant tout sur ses albums "World of Echo", "Another Tought" et ses compiles "Calling out of Context" et "Love is overtaking me". Vous allez être propulsé loin , très loin, de la simple sphère indie/post-punk/synth-pop largement embouteillée actuellement par les redites plus ou moins sans intérêt, le revival ad nauseam et les pastiches frileux. Mais The Necessaries mérite justement que l'on s' y attarde tant il est le projet le plus facilement qualifiable de nos jours d' indie par ses guitares et ses composition. Une indie qui crève artistiquement mais qui domine par sa forte présence en terme d' éclairage médiatique (omniprésence dans les chroniques) et dans les festivals. La fameuse Rétromanie. The Necessaries offrent souvent cette sorte de power-pop légère facilement assimilable et non assumée en tant que tel tant appréciée par les snobes et les élitistes qui prolifèrent dans le petit monde indie. Le machin facile et complexe à la fois qu'il est bon de revendiquer. Une simple et belle rampe d' accès vers le plus "compliqué" sur laquelle se vautrent et butent tant de poseurs et de naïfs frileux ."Event Horizon" qui est certainement le meilleur des deux disques enregistrés par le groupe pour Sire est bel et bien un truc à placer entre toutes les mains de fan des Smiths ou d' XTC et Talking Heads pour les plus vieux, Parquets Court (son leader en est fan) ou Mac DeMarco pour les plus jeunes déjà vieux jusqu'à celles des adeptes bornés et égocentrés de la secte post-moderniste LCD Soundsystem. C 'est une pépite véritablement intemporel comme il en existe finalement que très peu.
Tout de suite face à cette pochette les connaisseurs de l'indie et du post-punk, et plus particulièrement de la Jangle pop, vont immédiatement penser à un autre groupe de la côte Est des Etats Unis, The Feelies. La couleur bleue et cette façade de maison typiquement américaine accompagnée d'une typographie fine et étirée semble évoquer à la fois celles de "Crazy Rythms" et de "Only Life". A l'intérieur les jangle guitares et le son si particulier de cette époque sont partout.
Mais avant de se pencher un peu plus sur la contribution de Russel on peut déjà constater que Necessaries en matière de jangle pop et de post-punk/"New Waaaaave" n' a rien du gentil petit groupe anecdotique pour junkies du vintage et snobinard élitistes. Les autres Necessaries ne sont pas de simple faire-valoir. Ce disque c' est du costaud reposant sur des bases solides touchées ensuite et furtivement par la grace de Russel qui y est rentré en dernier et ressorti très vite en premier. Le trésor caché par excellence.
The Necessaries comportaient donc en leur sein de gros clients de la scène punk et post-punk New Yorkaise dont un Modern Lovers et un Red Crayola. Sans Russel ils étaient déjà aux avant-postes. Toujours bien accompagné le Russel. Ce génie attiraient à lui tous les autres talents tel son alter ego anglais, bref, un véritable aimant à la Eno (Bowie,U2). Avec ou sans lui ils n' étaient peut-être pas né du bon côte de l'océan pour devenir de nos jours de véritables icones indies et posséder ainsi un statut culte d' une importance bien plus grande. L' Amérique a toujours était plus ingrate que les britishs envers ses génies underground. De nos jours ce serait plutot l' exact inverse. Une déification franchement disproportionnée et trop rapide (Thee Oh Sees, Kurt Vile etc). Originaire d' Angleterre les Necessaries n'auraient pas juré sur le plateau de Top of The Pop, dans la prog de John Peel ou en couve du NME en ces temps reculés. Quite à ce que Russel se mette des oeillets dans le cul (The Smiths) ou porter des petites lunettes rondes en refusant toute prestation live (XTC). On pense beaucoup à XTC en découvrant ce disque et à d' autres formations britannique alliant pop, ouverture stylistique et rigueur artistique. Une sorte de Smiths aux oreilles plus larges ,moins complexées, surtout bien plus aventureuses stylistiquement et portées sur le futur. D' autres formations américaines cousines germaines des anglaises sont aussi à évoquer . Les Feelies bien sûr, des Feelies semblant être devenus fans du Bowie version Berlinoise. Mais aussi le REM première période (la meilleur !) ou DEVO. Du Blondie en mieux et en plus exigeant ("Sahara"). Mais attention ce disque n'est pas qu' un condensé oublié accidentellement du meilleur d'une époque déjà mille fois entendu qui peut très vite paraître daté faute de vraie personnalité. Les Necessaries avaient immédiat en eux la bonne dose d' originalité pour rencontrer si ce n'est un succès populaire tout au moins un sacré succès d' estime à long terme qui leur a tant manqué jusqu'à présent. C' est que la "touch" Russel flotte sur l' ensemble du disque, même les titres non composés par le bonhomme en portent les traces. Ce mec adorait collaborer à conditions que ça ne dure pas longtemps et encore moins que ça ne prennent pas trop la tête. L' histoire des Necessaries dura à peine deux-trois ans. Il ne lui en fallait pas plus pour hisser le talent de ses collaborateurs encore plus haut qu'à l'origine. Pour oser ce que les contemporains du genre n' avaient pas oser. Serait-ce même très discrètement. Les fans vont très vite le ressentir et les novices feront une excellente entrée en matière dans l' univers étrange et liquide du génie. Par le timbre de sa voix inimitable, par les petite touches expérimentales, son goût pour la diversité et son génie créatif Russel tire donc l' ensemble vers le haut et l' originalié. Si bien souvent le format couplet-refrain semble être la norme imposée Russel réussit à multiplier les échappées par la richesses de ses interventions souvent inattendues pour l' époque. Des tueries pop et post-punk il y en a plein. Le mélange des genres, culture rock et dancefloor, nous saute aux oreilles 20 ans avants LCD Soundsystem. Le parallèle entre ces deux formations est franchement évident au vue de leurs sorties discographiques concomitantes en cette rentrée. Si tous les gens s' exclamant sur le retour sur-côté du gros Murphy avec ses recettes éculées de cross over et de bastard-pop jouée avaient l' idée ne serait-ce qu'un instant d' écouter "Event Horizon" ils ravaleraient leurs louanges surjouées et les garderaient pour la formation de Russel et ses trésors enfouis. Quite à en faire des tonnes sur de la musique passéiste en 2017 autant lui préférer celle faite à la bonne époque plutot que l' anachronisme Murphiens. L' histoire s' est évidemment terminé en eau de boudin quand sur le trajet les menant à un concert Russel sauta, au sens littéral (!), du bus mettant fin au machin. Les deux disques étaient des flop totales mal défendus par Sire malgré le soutien du gotta (John Cale, Blondie). Plus de trente après nous découvrons une véritable merveille du passé à écouter entre deux tueries actuelles. Histoire surtout de comprendre à quel point Arthur Russel était l'un des plus grands génies créatifs de l' histoire de la musique moderne et s' apercevoir du poids de son héritage sur toutes les têtes chercheuses contemporaines.