Fred Warmsley est devenu depuis un an Dedekind Cut après s' être fait connaître sous le pseudo de Lee Bannon. Son "$uccessor" sort ces derniers jours et au delà du fait déjà important qu'il est une réussite totale c' est bel et bien la mutation subie par sa musique qui est encore plus notable chez ce bonhomme. Un changement complet qui n' avait pas attendu celui du pseudonyme et qui est si symbolique d' une certaine musique expérimentale et underground aujourd' hui. L' ultra-connectivité des genres et courants musicaux apparus récemment, l' immense capacité en matière de réactivité de certains artistes et des explorations de plus en plus issues de collaborations enjambant toutes les barrières en musique. L' assimilation de la révolution internet est déjà terminée et parfaitement digérée au point de détruire toutes formes de barrières, raciales, politiques, stylistiques ou autres.
Lee Bannon c' était d' abord fait connaitre par ses production hip hop portées sur la Trap et le Cloud Rap, cette version éthérée et sans oeillères du vieux genre. Il dévoilait déjà une certaine singularité et un goût prononcé pour l' étrange et l' expérimentation. En ces temps pas si lointains, mais qui apparaissent dorénavant si anciens aux regards de l' évolution rapide du bonhomme, l'un de ses principaux collaborateurs alors n' était autre que le cinglé Joe Bada$$. Plus tard le regard de Bannon se porta sur la Drum & Bass anglaise et on senti chez lui une attention toute particulière pour le grime expérimental des Logos, Mumdance et compagnie. Les disques se succédèrent à une vitesse sidérale et aucuns ne se ressemblaient. Une vision sans borne transpirait à chacune des sorties. Une culture riche et un besoin ténu de chercher ailleurs encore plus.
Bannon lorgna sur la jungle un moment puis sur le footwork mais aussi sur ce qu'il se passait du côté de chez Daniel Lopatin avec Oneohtrix Point Never et de la post-industrielle de Helm. Bref, il était à la pointe du progrès en musique et dans tous les bons coups. Alors, quand en plus on s' aperçut qu'il samplait Autechre, il en fallu pas plus pour surveiller d' encore plus près cet énergumène. Avec son dernier album sous le pseudo de Bannon, "Patterns Of Excel", il devenait de plus en plus évident que l'on était très loin de ses débuts timides et que le bonhomme avait bien changé. Le changement de nom en Dedekind Cut devenait irrémédiable.
Si la première publication sous le nom de Dedekind Cut en 2015 échappa à votre serviteur la seconde l' attira automatiquement . Le ep "R&D" de janvier dernier était en fait une collaboration avec l'un des chouchous de ce blog, Rabit. Quelque semaines plus tard stupéfaction encore dans les chaumière ultra connectées, Dedekind Cut quittait Ninja Tune et Chilwave Records pour lesquels il officiait depuis longtemps pour fricoter avec Dominick Fernow que l'on ne présente plus dans ce blog (Prurient/Vatican Shadow). Et c'est vrai que depuis quelques temps les influences industriels devenaient encore plus évidentes à l'instar de synthés toujours plus oppressants et anxiogènes comme chez Vatican Shadow. L' ensemble strié par des déflagrations digitales qu'un Ferraro ou un Rustie ne renieraient pas.
Le ep "American Zen" déboula en Mars à la fois chez Hospital et Ninja Tune pour la dernière fois et ce fut une sidération pour moi. L' électronique de Bannon était encore plus progressive, les ambiances tour à tour écrasantes puis planantes , le drone un outil manipulé avec talent et enfin un champ d' exploration définitivement sans limite. Suffisamment pour le classer illico dans le top ep de mi-année. A peine remis on apprenait que le bonhomme s' était encore fait de nouveaux amis eux aussi adorés par ici, la clique NON Worlwide de Chino Amobi (combien de fois ais-je écrit ce nom depuis deux ans!?). Bref, le monde est bien petit, surtout celui des combatants révolutionnaires.
"$uccessor" voit le passage au grand format devenir celui de la consécration. Magnifique du début à la fin, un modèle d' ambient remise aux goûts du jour. Une tripotée de collaborateur figurent sur les crédits et étonnamment le passé hip hop de Bannon se retrouve dans la présence de ce bon vieux DJ Shadow. Pour la promo du disque Bannon s'est aussi montré beaucoup plus explicite sur ses influences dans son évolution et des vieux noms bien éloignés du domaine hip hop ont surgi, Laurie Anderson, Philip Glass ou Steve Reich. Il y a quelques semaines il nous offrit une playlist magnifique pour quiconque désirant s' immerger dans l' ambient et son histoire (par ici). Un modèle du genre mêlant l' historique (Brian Eno of course) et le beaucoup moins caricatural (Aphex Twin, OPN, Burial ou Basinsky). Il démontrait ainsi que le terme ambient ne désigne pas seulement du planant et doux mais aussi des choses bien plus bruitistes. "$uccessor" a un très fort pouvoir de déconnection et son écoute amène à une inévitable et totale immersion. Une musique translucide se voit parsemée de débris d' explosions Grime, post-dancefloor et digitales, on pense à Arca mais aussi à Oneohtrix Point Never et Tim Hecker. Des accords envoûtants vous réchauffent l' âme et le corps face à un climat polaire d' abord engourdissant puis revigorant. Chaque écoute devient une expérience nouvelle. Bannon avec ce disque arrive à un tournant de sa carrière comme à celui d'une certaine musique expérimentale tant décrite dans ce blog. L' ambient qu'il pratique détruit les préjugés et la vision réductrice du genre. De même l' aspect politique de son label NON Worldwide rajoute à l'ensemble en cassant la caricature des musiques à forte composantes revendicatives et contre culturelles. Ce collectif rassemblant bon nombres de musiciens derrière une appartenance sociale et raciale n' a pas fini d' étonner les esprits fermés et de lutter ainsi contre certains préjugés à la couenne dure dans la musique et nos sociétés occidentale. Disque vitale et parfait pour affronter sereinement la future année, la terrible et paradoxalement tant attendue, année 2017.