Ma première écoute des Mannequin Pussy c' était à l' occasion de leur deuxième album "Romantic". Et la sentence fut "ça casse pas trois pattes à un canard". La deuxième fois, poussé par une chronique typiquement Chauvino-Pitchforkienne de leur troisième, "Patience", la sentence fut "même le canard ferait mieux". Pour la troisième fois, il y a quelques jours avec "I Got Heaven", la sentence devint :
"Putain ! " et de filer m' ingurgiter le canard, plumes comprises, en guise de pénitence.
Vous l' aurez compris tel le palmipède déjà cité, Mannequin Pussy est l' exemple parfait de ces groupes patauds et lourdauds qui tanguent sur une crête tout en hésitant sur quel chemin prendre. Ils sont tombés souvent dans le précipice de l' insignifiance quand ce n' était pas celui de la grandiloquence putassière. Mais cette fois non seulement ils ont filé droit mais ont miraculeusement réussi un merveilleux envol inespéré. Ce fut long, 14 ans de carrière, mais on est bien plus que simplement agréablement surpris par la tournure que prend leur carrière. "I Got Heaven" les propulse en tête d' un peloton Indie américain d' où s' échappent depuis quelques mois des formations enfin pertinentes et bluffantes après des années de marasme rétrogaga.
Ce disque est puissant. C 'en est même la caractéristique principal. Ce disque est également terriblement accrocheur. Bref il est Power Pop tout simplement. Ce n'est pas pas la première fois ces derniers mois que ce courant qui a connu plusieurs incarnations au cours de l' histoire réapparaît dans mes pensées à l' écoute de certains groupes ricains. La Power Pop désignant un style mêlant mélodies accrocheuses et puissances sonores semble être un peu comme le monstre du Loch Ness. Alternant les périodes d' absences et celles d' apparitions courtes mais tonitruantes. Première vague dans les 70's avec les géniaux Big Star ou les Rasperries et Badfingers. Suivront celle des 80's très grand public amenant même à un certains dégoût (The Beat ou The Knack) et enfin et surtout beaucoup plus digérable et pertinente celle en provenance de l' Indie des 90's, Lemonheads, The Posies, Weezer, Matthew Sweat, Teenage Fanclub et Sugar. Toutes ces formations sous la grande influence des Primitives et des Replacements qui les avaient précédé de peu. Depuis des mois l' Amérique semble vouloir y regoûter. Et pas seulement. Bien évidemment il ne s' agit pas réellement d' un Revival en bonne et due forme mais certains aspects transpirent chez certaine formations Indie qui ont la côte tel Hotline TNT, Alvvays ou les Coréens de Parannoul.
Pour la plus part il faut faire preuve d' une certaine connaissance dans le domaine pour discerner les éléments Power Pop de ceux provenant de la Noise Pop voir d' un Shoegaze aguicheur. En fait c' est le trait caractéristique de cette nouvelle génération qui ne veut (ou peut) plus assumer des aspiration rétros faciles et simplistes. Les 90's dans le viseur ils ne se contentent pas de copier une ou deux références stylistiques mais de brasser tout un ensemble d' influences parfois éloignées d' une manière réellement inédite. Il semble qu' une nouvelle fois on assiste à une réponse à l' autre dans l' éternel dialogue parfois houleux entre l' Amérique et le Royaume Uni. Ces derniers nous ont dégoupillé le retour d'un Post Punk qui à présent tourne à l' overdose et voilà que les yankees en tapant eux aussi dans le passé amène l' Indie Music à tenter de se renouveler enfin. Les Mannequin Pussy n' échappe pas à ce phénomène Outre Atlantique et eux aussi amènent parfois à repenser à la Power Pop. Comme les autres ce ne sont à proprement parlé que des sensations évoquant la Power Pop mais il est indéniable que leur production puissante est ce qui en rapproche le plus et ce avec une certaine maîtrise des crochets Pop.
Leur penchent Power Pop s' était déjà révélé sur le précédent "Patience" mais à l' époque comme je l' évoquais plus haut les Mannequin Pussy faisaient preuve d' une certaine maladresse si ce n'est d' un passage en force totalement grossier et pataud dans leur évolution et leur songwritting.
Hésitant donc entre Hardcore Punk, Power Pop et des affinités Indie Pop jusqu' à en faire trop ou pas assez. Ce disque par moment évoquait l' aguichante Power Pop 90's mais également le rock FM de l' époque qui profita du phénomène Nirvana pour nous asséner sa musique pseudo Indie Rock Grunge Métal mais calibrée pour les stades et les radios (Soundgarden, Alice In Chains).
Ce qui marque avant tout le virage opéré et surtout l' élévation du niveau dans "I got Heaven" c' est un savoir faire enfin atteint et leur habilité inédites dans l' alternance de textures sonores et la variété des compositions. On peut véritablement parler d' un Crossover stylistique encré dans les 90's qui ne semble pas forcé. Toujours adeptes de titres débridés ils oublient enfin leurs gros sabots quand ils décident de passer au Mi-Tempo typiquement Indie.
Le titre inaugural qui donne son nom à l' album est la plus parfaite illustration. "I Got Heaven" débute dans la plus pure tradition Punk Hardcore puis subitement opte pour un refrain Indie 90's introspectif et planant très Shoegaze. Peu après "Nothing Like" suggérera encore plus My Bloody Valentine et leurs compères de l' époque. Des titres comme le très Pixien "Loud Park", "I Don't Know You" et "Sometimes" dressent quant à eux un très large tableau de ce qu' était la diversité Indie dans les 90's.
"OK! OK? OK! OK?", "Aching" et "Of Her" coche l' obligatoire case Punk Hardcore mais face au reste de l' album ces trois titres , peut être par soucis et une volonté de ne pas passer pour des vendus aux yeux de leur scène d' origine, par leur aspect "conformiste" en deviennent un brin anecdotiques et surtout révélateur du virage opéré. Révélateur comme l' est également le sens général des paroles de la leader du groupe, Marisa Dabice. Bluffante par sa capacité de passer de la vocifération Punk au chant fragile et éthéré elle assume également qu' auparavant elle et ses comparses avaient probablement bien de mal à abandonner leurs laisses. Celles du patriarcat, de la religion, des carcans stylistiques et des velléités commerciales.
"I got Heaven", imprégné enfin d' une réelle énergie féministe qui n' aligne plus les clichés un peu trop facile, devient un symbole de libération. Plus du tout adepte de l' emphase surjouée par le passé Dabice se révèle bravache et n' hésite plus à afficher ses propres contradiction et celle de son groupe.
Mannequin Pussy avec leur quatrième album a donc franchi un cap jusqu' à nous offrir l' une des plus belles réussites de l' Indie de ce début d' année. On peut certes s' interroger sur les motivations réelles, opportunisme ou libération artistique comme suggéré par les paroles, d' une formation qui semblait se chercher maladroitement depuis très (trop?) longtemps. En attendant ne boudons pas notre plaisir tant ce disque est jubilatoire par sa force et son art de conjuguer le passé sur un mode totalement affranchi et un brin original.
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