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Nico

MUSIQUE ET ALZHEIMER, un docu choc et le prodigieux projet The Caretaker (Leyland Kirby)


C' est un article un peu particulier. Il arrive parfois que passion et vie professionnelle se rencontrent. Parfois... Ma passion vous la connaissez déjà si vous lisez ces lignes mais il va falloir un peu vous préciser d' où vient une grande partie des motivations à pondre cette double chronique. J' ai l'immense chance d' être Aide Soignant auprès de personnes atteintes d' Alzheimer et dans ce cadre je me suis rendu compte du rôle que peut jouer la musique. Le passionné de musique le soupçonnais fortement mais souvent entre l'intuition et la réalité il y a un monde. Bref, il arrive souvent au soignant de faire appel à sa passion. Pas assez à mon goût et les raisons sont en partie développées dans le documentaire "Toute la musique que j' ai aimé" . Des raisons dont il me semble également vous avez du entendre parler un certain 30 Janvier 2018.

Mais avant tout examinons d'un peu plus près cette saleté dont tout le monde a entendu parler mais sans réellement saisir tout ce que cela signifie faute d' y avoir été réellement confronté par malchance ou tout simplement à force de la fuir comme on nous l' apprend dans nos sociétés dites modernes. La perte de mémoire, quèsaco? Rien ne vaut qu'une bonne vieille chronique de disque de derrière les fagots.

Comment l' aborder en musique. L' illustrer. Les oeuvres sont très rares. Il semble que ce sujet n' enchante guère les musiciens et les chanteurs. Il est vrai que depuis sa naissance la pop culture est atteinte d'un jeunisme un peu trop envahissant et certains sujets tel que la maladie sont évacués. En grattant sur le net on peut trouver une chanson signée ...Didier Barbelivien mais!... Vous l' avez compris, malgré tout le respect que l'on peut porter à ce "grand artiste" (dixit Nicolas Sarkozy), je vais préférer m' abstenir de vous laisser un lien. Pas assez amateur de la facilité à grand coup de gaz lacrymogènes que notre chère variété nationale peut offrir. Côté anglo-saxon par contre il y a pléthore de chansons évoquant le sujet (liste dispo ici) dont celle du grand Glen Campbell atteint par cette merde. Mais souvent cela passe par le texte. Et par la musique? Justement, l' unique musique quand elle est utilisée à des fins thérapeutique prouve qu' elle est capable de bien des "miracles" sur nos petits cerveaux . Alors est-elle capable d' illustrer parfaitement leur fonctionnement en plus de nos émotions? Il faut donc du sérieux. Du fin et surtout, quelque chose qui sonne juste.

Leyland Kirby se pose probablement comme des mieux placé. Ce nom vous l' avez déjà croisé maintes fois dans ce blog . L' an dernier cet artiste avait encore une fois droit aux honneurs de DWTN pour son magnifique "We, so tired of all the darkness in our lives". Alzheimer touche la mémoire et qui de mieux placé qu'un artiste affilié au courant Hauntologique. L' "Hauntology music", ce bidule "post-moderniste" qui tire son nom des travaux de Jacques Derrida, je n' ai de cesse de vous en parler et une fois de plus il ne peut qu'en être question. Il y a de solides et bien réelles passerelles entre la perte de mémoire liée à Alzheimer et la réflexion hauntologique. Ces musiques traitant de la nostalgie et des tours que cette dernière joue aux souvenirs quand nous sommes en quête d' un avenir qui ne s' est pas réalisé. Quand le présent devient dystopique. Mark Fisher parle quant à lui toujours au sujet de l' Hauntology d'une "confrontation avec une impasse culturelle. L'échec de l'avenir". Les pertes des repères et des souvenirs provenant d' Alzheimer ne représentent-elles pas également une impasse et l' avenir une notion bien évasive ? Les personnes atteintes semblent enfermées dans une vision courte au jour le jour. Si ce n'est pas de l' instant à l' instant. En apparence. Un hauntologiste refuse d' abandonner l' avenir en évitant le même travail bêta des copieurs revivalistes de tout poil. Il décompose la musique du passé, la transforme, la parasite. Il n'est pas "nostalgique", il utilise la nostalgie du passé pour critiquer le présent et tenter d' amener un avenir plus radieux. Kirby a une autre particularité et pas des moindres pour être le plus à même de décrire la démence et l' oublie. C' est un ancien aide-soignant justement.

Cela fait déjà pas mal de temps que Kirby a monté son projet The Caretaker. Rien que le choix du pseudo évoquait la mémoire et nos liens avec le passé, nostalgie et mélancolie. Référence au "Shining" de Kubrick et notamment aux dons de médium du mioche du film, un personnage susceptible d' explorer le passé. En 2011 avec " A empty bless beyond this world" il aborde une première fois Alzheimer avec tact et pertinence. Succés artistique et critique au rendez-vous. Mais comment s'y prend-t-il pour évoquer cette maladie? Comme souvent et dans la grande tradition Hauntologique il utilise des références du passé. Ici ce sont des samples plutot que des instrumentations jouées. Sample des musiques jouées dans les bals anglo-saxons des années 20 et 30 dont on possède les traces par l' intermédiaire de 78 tours. Après en avoir déniché un certain nombre Kirby n' a eut de cesse de mettre en boucle certains titres ou extraits. Est arrivé ensuite l' un des éléments majeurs dans son travail et celui de ses congénères hauntologiques (Burial, Belbury Poly, William Basinsky). Le bruit de la surface d' enregistrement. Les fameux craquements des vinyles tellement symboliques du passé à l' heure du mp3 sont amplifiés et ce très progressivement jusqu'à prendre toute la place. Jusqu'à en faire disparaître la musique. Cette dernière est ici, comme justement dans le traitement des personnes atteintes, appelée à enclencher nos souvenirs. Mais, par le filtre de la maladie (les craquements, la déformation du son), la perte des sens s' installe jusqu' à atteindre le point de non retour symbolisé par un silence pesant et l'unique présence des craquements et de la tête de lecture du gramophone. Nous sommes sur le dernier sillon du disque , celui qui ne mène à rien si ce n'est qu'à lui même. L' impasse. La métaphore parfaite.

Avec ce travail méticuleux il réussit parfaitement à reproduire les procédés fragmentés et non probants de la mémoire atteinte d' alzheimer.

Depuis 2016 il va encore plus loin en affinant son travail avec la série "Everythere at the end of time". Cette série doit comprendre 6 parties et nous en sommes qu' à la moitié. Une fois terminée, The Caretaker sera appelé à disparaître selon les dires de Leyland Kirby. Chaque partie doit représenter un stade particulier de la démence précoce.

La phase 1 sortie en 2016 abordait les premiers signes de perte de mémoire. Il ne semble pas se passer grand chose sur ce disque comparé à "We, so tired..." sauf à quelques petits détails près. Des morceaux présent aux débuts reviennent à la fin, se répètent mais sous un autre titre. La personne chercherait-elle ses mots, leur signification? L' ambiance reste cependant plus radieuse, favorable. Nous ne sommes confrontés qu'aux bons souvenirs et aux grands moments de nos vies. Mais qu' advient-il quand nous ne sommes plus capable de favoriser ces "bons" souvenirs pour faire face aux difficultés de la vie quotidienne. Quand le puit s' assèche et qu'il ne reste plus que de la vase mémorielle à sucer pour subsister. Ce que l'on voulait oublié et qui devient l' ultime canne . Mais une canne prête à se briser et possédant une poignée truffée d' épines.

La phase 2 (Avril 2017) décrit une chose rarement abordée au sujet d' alzheimer et de bien d' autres démence. Quand la personne atteinte repère les premiers signes. Plus la mémoire s' efface et plus l' humeur devient négative. Le "black dog" de Churchill s' installe. La dépression précède le refus puis parfois l' acceptation attristée. Leyland Kirby commence à se lâcher sur cette phase en terme de rajout de sons aux samples et de manipulation. L' ambiance se noircit. L' heureuse nostalgie devient triste.

Arrive la phase 3. La plus manipulatrice et intéressante. Et aussi la plus porteuse de promesses sonores quant à la suite de la série. Le brouillard s' installe définitivement. Les éclaircies dans le traitement du son de la précédente phase diminuent fortement. Les boucles se répètent plus fortement, le tempo ralenti fortement et de brèves accélérations viennent trahir de probable énervements dus à l' incompréhension face à un extérieur devenu inconnu. La suite, les phases 4 et 5 devraient être publiées courant 2018 et le projet se clore définitivement avec la 6 en Mars 2019.

Leyland Kirby aka The Caretaker par sa maîtrise et son talent offre une nouvelle fois une oeuvre gigantesque, tortueuse et absolument pertinente. Comme toujours avec lui l' auditeur se retrouve confronté à une musique à la fois simplissime dans les apparences mais aussi très difficile d' accès si le contexte n' est pas posé. Un projet de longue haleine, donc fatalement à contre courant de l'immédiateté et du zapping dominant. Un disque nécessitant une écoute très attentive et endurante mais certainement le plus abouti et le plus essentiels des travaux sonores sur ces pathologies que la musique nous a offert.

On va parler ensuite de cette bombe qu'est "Toute la musique que j' ai rêvé". Docu "bombe" où vous explose au visage le rôle thérapeutique de la musique pour lutter contre Alzheimer et bien d' autres types de démences. Et ce, d'une manière bien plus approfondie que les rares reportages franchement caricaturaux et réducteurs que nos chers médias français daignent offrir.

Il y a très longtemps que je rêvais de vous parler du documentaire passionnant sorti aux States sous le titre de "Alive inside". Je l' avais déjà visionné mais jamais en version traduite et il demeurait du coup difficilement accessible à un grand nombre de nos compatriotes. C' est chose faite grace au site de streaming de la chaine Arte. Documentaire disponible gratuitement ici en version française

Sélectionné au festival de Sundance en 2014 ce film fit l' effet d' un petit cataclysme outre Atlantique. D' abord par les apports possibles de la musique pour lutter contre les conséquences du vieillissement ou de certaines pathologies mais aussi, ce qu'il révèle du sort réservé aux "vieux" dans nos sociétés occidentale . Et de la catastrophe à venir. Loin du mélange constitué d' angélisme, de lamentations ou autre tires larmes franchement nunnuches et édulcorés que l'on peut percevoir dans les docus par chez nous. Entre espoir face à de probables aides en matière de réconfort si ce n'est de guérisons et totale honte face aux comportements de nos pays et aux conséquences des diverses politiques néo-libérale menées un peu partout. On pourrait émettre des réserves en constatant que le triste tableau qu'il dresse sur le sort réservé aux "vieux" est celui des Etats Unis mais je peux vous affirmer que la France n'a pas vraiment à la ramener. Et que ça empire malgré quelques progrès et exceptions trompe-l'oeil.

Le séquence d' ouverture peut paraître un peu trop Too Much mais je peux vous assurer qu 'elle est bel et bien issue du réel. Nous voyons une dame se rappelant de pas grand chose de sa vie puis en quelques secondes ce bon vieux Louis Armstrong vient à son secours et la voilà nous racontant avec précision son passé. Tout au long du film ce petit miracle qui n' en est pas un, juste le fruit d'une connaissance approfondi de l' humain et du retrait de certaines oeillères, se reproduit. Ma préférence pour des raisons bien précises et utiles dans l' avenir va à la séquence de Marylou. Marylou qui ne retrouve pas le mot pour désigner une cuillère ni même à se souvenir à quoi peut bien servir ce machin. Les signes dépressifs sont évidents et sa tristesse immense pendant l' interview. L' humain , qu'elle reste, semble disparaître sous nos yeux dans les tunnels obscurs de la mémoire. Les portes se referment. Et bien observez ce qu'il se passe quand Cohen lui met un casque sur les oreilles avec la musique de sa jeunesse. Le traitement du son de cette séquence est parfait. On pose le casque et on lance la musique. Le son est d' abord filtré évoquant ainsi une certaine distance, une séparation. L' attaque par les choeurs du fameux "Round round get around" semble être le bruit de quelqu' un qui frappant à la porte Le son s' éclairci, devient plus "réel", plus proche, et surgit un "waou" sidérant quand l'orchestration entre en jeu. Ce "waou!" tel celui du bébé illustre un véritable retour à la vie.

Cette séquence qui ne respecte en rien les reportages caricaturaux permet également d' annoncer ce qui va se passer dans nos Ehpad. On peut ainsi percevoir le petit espoir que certains d' entre nous placent envers les futures générations de résidents et le rôle encore plus majeur de l' utilisation des musiques "pop". Les Babyboomers arrivent. Quelle autre génération que celle-là a eut accès le plus facilement à la musique. Bien évidemment les plus âgés écoutaient aussi de la musique mais les occasions étaient plus rares, les moyens (techniques) moins démocratiques. Les babyboomers ont été les premiers a avoir accès plus facilement à la pop culture. Au point d' y vouer un véritable culte. Par son apparence Marylou casse donc l'image que vous vous faites des "mémés" atteinte d' alzheimer et devient le marqueur du tournant.

Ensuite il y a la musique qui enclenche la machine. Elle ne date pas des temps anciens, l' avant guerre ou son immédiate suite, les 50's. Elle a une connotation particulière. Une musique qui symbolise bien plus que la seule et unique jeunesse personnelle de Marylou. Ce titre du génie Brian Wilson avec ses Beach Boys illustrera pour toujours les changements intervenu à partir des 60's. L' émancipation d'une jeunesse et plus tard celle des femmes et de bien d' autres composantes de la société . Marylou a vu ça, y a participé. Arrivée dorénavant à l' âge de la confrontation avec la dépendance, les "Marylou" et leurs aidants vont certainement être moins corvéable à merci que les précédentes. Les goûts seront beaucoup plus divers et variés.

Aux soignants aussi de changer de disque, l' âge d'or du musette et de la guinguette dans les maisons de retraite vit ses dernières heures et les souvenirs des yéyés pointent déjà leur nez. Comme le révèle une récente enquête les musique entendues et écoutées aux alentours de nos 14 ans semblent être celles qui s'inscrivent le plus durablement dans nos cerveaux. Inutile d' aller voire dans nos ehpad, ces constatations on peut les faire soi-même. Souvenir ému d'un fan d' Heavy Métal quadra à qui on aurait même pas osé faire écouter un titre de Nirvana car jugé trop "mou" mais qui tomba dans une sorte de transe nostalgico-gaga dès les premières notes d'une vieille merde du top 50 (Jeanne Mas). A quand un questionnaire bien plus avancé qu' actuellement portant sur ses goûts musicaux à chaque entrée de résident. Et si la famille ne peut répondre il y a dorénavant suffisamment d' archives et de banques de données sur le net pour trouver ce qu' ils étaient susceptibles d' écouter vers leurs 14 ans.

Kant: "La musique est la langue des émotions" Et pas que! Quand le réalisateur Michael Rossato-Bennett nous montre le parcours du combattant du travailleur social Dan Cohen pour développer ses travaux sur la musicothérapie personnalisée avec ses sidérants effets bénéfiques nous sommes pris par la colère et l' incompréhension la plus totale face aux directeurs d'institutions expliquant que cela n'est pas possible pour d' uniques raisons budgétaires. La monstruosité néo-libérale explose aux visages. D' autant plus que l' auteur aux travers d' interviews (dont celle passionnante du neurologue Oliver Sacks) et de démonstrations bluffantes démontre l' aspect bien moins onéreux de ces pratiques face aux traitements pharmaceutiques. On peut creuser le trou de la sécu à grand coup de substance issu des labo mais pas moyen d' obtenir quelques euros pour l' achat d'un lecteur mp3 individuel. En France on fait plus fort, on peut dépenser pour le jardin devant l' ehpad, le fameux plan alzheimer qui n' est devenu qu'un cache misère, mais dès qu'il est question d'une hausse d' effectif des soignants, ce que nécessite d'ailleurs la musicothérapie personnalisée, dégagez y' a plus rien dans les caisses. Entre poudre aux yeux et déni total. On dira juste que nos élites si intelligentes qu'elles le croient sous estiment les moyens nécessaires et encore plus les enjeux à grand coup d' économie de bout de chandelle. Enjeux de civilisation face à de bien moribond et déconnectés choix économiques dictés par un dogme suicidaire.

Du coup aux States comme en France la musique se consomme collectivement au sein des structures parce que la spécificité des travaux de Cohen par la personnalisation avancée est impossible dans la plus part des institutions. J' ai personnellement la chance de la voir être pratiquée mais trop peu, faute de temps, d' argent, de personnel.

"Alive Inside" est d'une grande richesse parce qu'il dépasse aussi le simple sujet de la musicothérapie. Par un petit rappel glissé au beau milieu du docu Rossato-Bennett démontre que bien avant les progrès scientifiques les peuples connaissaient déjà les qualités thérapeutique de la musique. Certains guérisseurs dans la tradition africaine étaient des musiciens et utilisaient leur instrument comme d' autres leur grigri. Une nouvelle fois on se retrouve face au lavage de cerveau culturel de l' occident que j' avais abordé il y a longtemps au sujet de Debussy et du gamelan javanais. La partie abordant la relation étroite entre tout être humain et la musique depuis la nuit des temps et leur naissance est l'une des clés du documentaire. La musique est un phénomène physique avec des conséquences sur nos petites cervelles et nos corps. L' aspect tribale est une notion importante. Mais je doute fort qu' au pays de la "chanson", là où la musique est prise en otage par les poètes de tout poil, on se rende bien compte des effets de tout son. De toute sorte de musique. Faute de temps je n'ai abordé que la technique consistant à retrouver la musique de leur jeunesse. Il y a aussi bien d' autres manières, parfois mélangées, pour aider les personnes atteintes. Un jour je vous parlerai des fantastique découverte faites très récemment au sujet des effets des ultra sons sur nos petites cervelles et certains genre comme l' ambient. On arrive déjà à alléger la douleur engendrée par des soins en faisant appel à la musique ambient mêlée à des techniques provenant des dj tel que la manipulation des Bpm.

Ce documentaire nous montre que nous en sommes qu' aux balbutiements et que la musique est amené à jouer de plus en plus un grand role dans la prise en charge des patients atteints. Un rôle encore trop sous-estimé. Parfois par le personnel soignant, souvent par les institutions sauf dans des objectifs d' image de marque, mais aussi et peut être le plus gènant, par les amoureux de cet art et les musiciens qui ont un très grand rôle à jouer.


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