Il a été beaucoup question de l'artiste texan connu sous le pseudo de Rabit dans DWTN ces 5 dernières années. Que ce soit au sujet de ses projets solos avec par exemple son fabuleux doublé dans les tops de 2015 (son album "Communion" 17ème et son ep "Baptizm" 26ème), comme pour ses collaborations avec le grand Chino Amobi ("The Great Game: Freedom for Mental poisoning" 39ème en 2016) ou avec Elysia Crampton sur son "Demon City" (12ème en 2016). Et ne parlons pas des nombreuses sorties de son label Halcyon Veil plébiscitées ici (Pessimist, Conspiracion Progresso, Imaginary Forces, la française Fawwkes, Myhsa et City). Bref vous l' aurez compris on s' attaque à du lourd. Du très lourd même! Un très vieux coup de coeur ardemment défendu ici sans attendre l' annonce récente de sa participation logique au dernier Bjork et le micro buzz journalistique qui suivra. Deux ans après son premier album chez les Tri Angle Records Rabit revient donc avec "Les Fleurs du Mal" et continue de côtoyer les sommets. Vous avez bien lu le titre et Rabit assume entièrement le lien de parenté de sa dernière oeuvre avec qui vous savez. Il raconte s' être plongé dans la littérature pour se ressourcer dans son approche artistique de la musique. Emprunter ce nom pourrait faire passer Rabit pour un arrogants et vaniteux musiciens raté se la jouant poète maudit en quête d'un buzz "cultureux"/artistique mais quand on connait le parcours du bonhomme et surtout ses qualités on pige très vite qu' il faut s' y pencher sérieusement. Avec ce disque comme avec les écrits de Beaudelaire nous nous retrouvons face à une oeuvre ou hédonisme, sexualité et mysticisme se mélangent sur fond d' abstraction et de psychédélisme dark. Comme le poète français Eric C Burton aka Rabit se complaît à pratiquer l' autopsie de son époque, un monde parcourue de tensions extrêmes souvent refoulées et régulièrement secouée de convulsions. Rabit voit le beau là où c 'est moche.
Sa musique est en constante évolution depuis ses débuts. Il reste peu de chose de ses premiers pas très marqués grime et dancefloor. "Les fleurs du mal" dépasse même le simple cadre de ce que l'on nomme le post-club. Ce machin-bidule tant rafraîchissant et novateur qui déconstruit tout ce qui peut provenir des pistes de danse. Ce magnifique empêcheur de danser en rond. Cet agglutination de sons sans de réels rythmes digne de ce nom et qui malgré cela à la gigantesque capacité de vous surprendre et de vous hypnotisé autant que le plus putassier des titres techno ou house. Comme tous les autres apôtres malgré-eux de la cause post-club Rabit fait plus dans l' estampes sonores illustrant merveilleusement notre monde que dans la pop song plus classique ou le morceau fonctionnel pour guincher . Il y a bien la voix de Cecilia au tout début mais jusqu'à la fin on est dans l' abstraction. Si certaines manière évoquent encore "Communion" et beaucoup d' autres artistes post-club (Lotic, M.E.S.H.) il y a dans "Fleurs du mal" des caractéristique propre à Rabit. La plus évidente des nouveautés est sans aucun doute l'influence grandissante de ses amis de NON WorldWide présents pendant l' enregistrement, Chino Amobi et Elysia Crampton . Bien plus que chez les autres même tout ce petit monde se fréquente ou s' espionne. Mais il y en a une autre qui se révèle totalement éclairante sur l' importance du courant. Sur son lien caché via des connotations politiques et sociales avec un certain passé. Liens également formelles . Et celle-là nous vient de très loin. Si elle est parfois détectable chez les autres Post-club comme par exemple leur critique du néo-libéralisme et leurs revendications sociétales l' artiste Texan a le mérite d' affirmer haut et fort sa filiation et son attachement à de vieilles lubies musicales jouant le même rôle en leur temps pour les passionnés de musiques aventureuses voir "tordue". Rabit mâche le travail à ceux qui tentent de décrypter et d' affirmer ce qui fait l' intérêt de post-club en 2017 tout en lui cherchant un précédent .
Rabit ne cesse de citer à qui veut l' entendre sa relation avec David Tibet de Current 93. Rien que ça explique parfaitement la fixation sur Beaudelaire. Tibet, grand amateur de littérature n' a pas cessé d' aller chercher dans le passé pour parler du présent. Ce disque jugé hâtivement et simplement électro a pernicieusement de très fortes odeurs de folk, de New Age et de drone comme ceux de Tibet. Si ces premières raisons devraient suffire à draguer les fans quadras de Current une autre raffermit les liens étroits entre 2017 et son post-club avec l' Angleterre des 80's et sa musique industrielle. J' avais déjà cité Throbbing Gristle et Genesis P Orridge au sujet de Rabit et d' autres mais ce coup-ci c' est un autre nom illustre de l'ère Thatcher (la mère matrone du néo-libéralisme) . Un nom qui intrigue, qui peut même faire peur à certains frileux de l' indie. Coil ! En effet, en plus de la présence de l'un de ses anciens membres (Drew Mc Dowal) on ne peut ne pas penser à cette légendaire formation issue de l'indus mais qui toucha à tout ce qui se faisait neuf en ces temps-là. Il y a d' abord l' attrait commun pour la technologie et les techniques les plus originales sous toutes leurs formes dans la création, et si possible les plus malpolies. Le refus d' aller à la facilité et vers le commerciale. On retrouve l' art idiosyncratique d' incorporer des languages musicaux là où ils ne devraient pas être, à les dénaturer pour leur faire dire tout autre chose que ce qu'ils sont censés raconter. La dystopie des Rabit ou des Arca (sans parler de la thématique scatalogique chez le dernier) ne sont rien d' autre qu'une forme détournée de la vision apocalyptique des Coil et Tibet en plein triomphe du Tatchérisme. Une nouvelle fois le post-club réussit à décrire et à reproduire parfaitement le zeitgeist numérique et son rôle de miroir face à l' effondrement capitaliste qui a commencé. Rabit avec "Les Fleurs du Mal" offre l'une des plus parfaites alternatives artistiques à tous ceux qui viennent de comprendre que répéter le passé mène au gouffre.